Monos : Penseur-divagateur – Ou Divagateur-penseur –.
Une : Serveuse.
Monos est assis près d’une petite table ronde. Une est
débout à côté de Monos en le regardant, prête avec un petit carnet et un stylo
pour écrire.
Monos (à voix haute mais sans regarder personne en particulier) : Si j’avais su, je ne serais pas venu ici comme ça, sans aucune préparation. Il faut que je dise quelque chose d’intéressant, quelque chose de prodigieux, quelque chose de transcendantal, mais je ne puis le faire si on me donne aucune matière à penser. Je suis pas mon maître en ce moment, et c’est à un autre maître à qui on doit faire plaisir[3]. Il faut tout d’abord penser… il faut penser… penser… mais qu’est-ce que je dois penser ? Il faut, avant de penser, penser à ce qu’on va penser. Si tout avant on ne pense pas à ce qu’on va penser, on commence à divaguer, et il n’existe aucun comportement ni loisir ni philosophistication (en faisant l’explication) –ce mot là appartient au langage soutenu–[4] plus naïfs, plus bêtes et plus ridicules que divaguer. Penser, c’est le cadeau pour les plus sages, qui ont toujours un but ; divaguer c’est le châtiment pour ceux qui n’arrivent pas à se concentrer. Mais arrêtons là pour l’instant, puisque je dois penser. Pourquoi devais-je penser ? Ah ! Je me rappelle : il faut que je dise quelque chose d’intéressant, de prodigieux, de transcendantal. Et si personne ne m’entend pas ? Cette situation serait encore plus triste si je commence à faire un excellent raisonnement et il n’y a personne qui puisse apercevoir la magnificence de mes paroles. Donc, dois-je attendre maintenant jusqu’à l’arrivé de quelqu’un qui soit intéressé par mon monologue ? Et si quelqu’un arrive, ça m’empêcherait de monologuer ? C’est possible… c’est bien possible ! Il faut l’éviter, car si je commence une discussion il s’agit évidemment d’une discussion et pas d’un monologue. Par exemple, (il regarde Une) elle est ici, et pourtant on ne sait pas si elle fait semblant d’être attentive… mais peut-être elle fait plaisir à un autre maître, et ce maître demande qu’elle soit sourde. Sur ce point, qu’est-ce que je dois faire ? Dois-je continuer mon monologue pour qu’elle l’entende, même si elle ne fait vraiment pas attention ? Dois-je me taire et garder toutes mes connaissances pour ne pas perdre des grands fils[5] de raisonnement… ?
Une (en s’approchant un peu) :
Monsieur, vous désirez… ?
Monos : …que vous me laissiez penser.
Une (en montrant d’un geste le
public) : Vous pensez depuis l’arrivée de tous ces clients. Il faut
décider.
Monos : Décider sur quoi ?
Une : Sur la décision. On décide sur des décisions.
Monos : Il y en a plusieurs. Laquelle ?
Une : La décision que vous devez prendre.
Monos : Ah ! Vous avez entendu mon dilemme !
Une : Quel dilemme ?
Monos : Si je devais continuer à penser ou me taire pour ne pas perdre
des idées précieuses.
Une : Non, c’est pas la décision dont je parle. Voulez-vous du café ou
de l’eau minérale ?
Monos : Je ne veux ni l’un ni l’autre.
Une : Mais vous devez vous décider ! Pour continuer la pièce il
est indispensable que vous désiriez quelque chose à boire !
Monos : Une pièce ?! Comme celles de théâtre ?! Quel
horreur ! (en partant) Je
croyais que c’était une cafétéria !
[1] « Monolocussion » : Mélange des mots
« monologue » et « discussion ».
[2]
Déformation du titre « The colloque of Monos and Una », conte
philosophique et synesthésique*écrit par Edgar Allan Poe.
[3] Monos
fait référence à trois maîtres : 1. Lui-même (« Je suis pas mon maître »), 2. Edgar Allan Poe (on pourrait
dire « son grand maître »),
et 3. L’auteur de cette « Monolocussion » (« un autre maître à qui on doit faire plaisir »).
[4] Bien sûr, Monos se trompe ; le mot « philophistication »
n’appartient pas au langage soutenu, car il n’existe même pas.
[5] Jeu de mots : Le sens de ce mot peut se comprendre comme les
« fils » d’un tissu ou comme le(s) « fils » d’un être
vivant.
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